Nina Stemme
Entretien
La soprano suédoise Nina Stemme chante Wagner, Strauss et Puccini sur les scènes les plus prestigieuses, de New York à Vienne. Loin des sentiers battus, elle propose en février à l’Opéra national du Rhin un récital dans sa langue maternelle, à la découverte de compositeurs scandinaves. Portrait intime d’une artiste d’exception.
Le programme du récital que vous proposez à Strasbourg est très différent de votre répertoire opératique. Pourquoi ce choix ?
La Scandinavie est un thème qui m’est naturellement cher. J’ai envie de mettre en lumière des artistes méconnus, comme Sigurd von Koch. À la fois compositeur et critique, il était surtout réputé à son époque pour ses chansons. Il a mis en musique des textes en allemand ce qui était courant en Suède à cette époque. Je suis heureuse d’utiliser mon expérience pour révéler de tels joyaux.
Quelles relations entretenez-vous avec la France et le répertoire français ?
Je connais bien les Français et je les aime beaucoup ! Je possède avec mon mari une petite maison dans le sud de la France. Je n’ai malheureusement pas beaucoup travaillé en France, pour des questions de calendrier et de propositions trop tardives. Je n’ai chanté qu’un seul rôle en français, Marguerite dans le Faust de Gounod. Ma voix s’est développée rapidement, et si vous pouvez chanter Wagner et Strauss, il est impossible de résister… Le français était comme un baume pour ma voix, mais il m’a aussi demandé beaucoup de travail. Je n’ai pas pu y consacrer autant de temps que j’aurais souhaité. Pourtant, c’est le répertoire italien et français qui a éveillé mon intérêt pour l’opéra.
Qu’est-ce qui vous attirait particulièrement vers ce répertoire français ?
Sa manière de transmettre des sentiments beaucoup plus directement que le répertoire germanique. Dans le répertoire français, vous arrivez directement au point que vous visez, là où Strauss et surtout Wagner sont plus philosophiques. C’est peut-être aussi un trait culturel. Je suis toujours ravie de venir en France et d’y faire de la musique. J’ai d’ailleurs déjà chanté à Strasbourg. Le public français est différent et j’adore cela ! Je ne saurais pas dire exactement en quoi… C’est comme en musique : on ne peut pas mettre des mots sur tout. Mais il existe un lien d’amour entre nous.
Vous continuez d’ajouter des rôles à votre carrière déjà longue et exemplaire. Quelles sont vos priorités ?
J’ai laissé un certain nombre de rôles derrière moi. Je me dirige désormais vers des rôles plus profonds, des rôles de mezzo-soprano. Je chanterai ma dernière Isolde en concert au printemps prochain et je n’interpréterai plus de rôles de « jeunes filles ». Passé un certain âge, je ne pense pas que cela soit juste de continuer. Ma priorité est de prendre toujours du plaisir sur scène. Les oiseaux heureux chantent mieux après tout ! Mais il y a encore des rôles que je rêve d’explorer. Je reste curieuse !
Qu’est-ce qui vous motive après tant de rôles et de projets ?
J’aime raconter des histoires. Oui, ma voix change avec l’âge. Le son est différent. Il perd un peu de sa fraîcheur, et peut-être une ou deux notes dans les aigus… mais on en gagne probablement plus dans le grave. Je suis curieuse de découvrir comment la voix d’une femme mûre continue de s’exprimer sur scène. Que deviennent les harmoniques ? En avez-vous besoin ? Quelle expression pouvez-vous donner ? Voir ce qu’on peut créer avec cette voix pourrait être une belle source d’inspiration pour les compositeurs d’opéra. Et puis, j’apprécie d’être maintenant souvent la soliste la plus expérimentée de la distribution.
L’exercice du récital est-il pour vous un défi ou une zone de confort ?
Chanter un récital, c’est en réalité sortir de ma zone de confort. Mon style de narration est habituellement opératique, avec des traits amples et des émotions fortes. Heureusement, la scène de l’Opéra de Strasbourg est suffisamment grande pour que je m’y sente à l’aise. Je dois choisir attentivement un répertoire qui convient à ma voix, plus dramatique, et peut-être différent de ce que l’on attend de moi. Cependant, j’aime partager la musique, donner et recevoir dans l’instant, sans savoir vraiment ce qui va se passer. Je propose au public une expérience intime. Après tout, il n’y a pas de mal à éteindre les portables, à être simplement là et à voir ce qui émerge. Peut-être que vous vous endormirez, et ce n’est pas grave ! (Rires.) Les vibrations passeront quand même.
Le langage corporel est aussi beaucoup plus limité. Vous sentez-vous libre en récital ?
Le langage corporel ne me manque que dans le sens où je mémorise avec les mouvements du corps. Et je n’ai pas cette sécurité en concert. J’espère que je ne découragerai pas mon pianiste en disant cela !
On vous associe surtout à vos héroïnes d’opéra, passionnées et fortes. Quelles sont vos héroïnes de concert ?
Chaque pièce est comme un petit opéra avec lequel je peux construire de grandes histoires. En récital, je peux aussi montrer davantage de vulnérabilité, être plus ancrée, presque comme une instrumentiste. J’aime pouvoir ramener la musique à son essence : raconter des histoires avec simplicité et profondeur.
Êtes-vous courageuse comme vos héroïnes ?
Plutôt, oui. J’ai toujours aimé me lancer dans des projets auxquels je ne m’attendais pas. Peut-être que je suis un peu une tête brûlée. Il faut une certaine dose de courage pour être chanteuse d’opéra et évoluer vers des rôles toujours plus exigeants. C’est un voyage qui demande de la ténacité et une foi profonde en soi-même, tout en avançant à son propre rythme.
Et connaissez-vous aussi des moments de faiblesse ?
Oui… ou peut-être pas. Nous sommes tous faibles d’une certaine manière. L’essentiel, c’est de reconnaître sa faiblesse et de l’accepter. Je peux me permettre d’être faible quand je le veux, j’ai des soutiens solides : ma famille, mon mari, mon agent… En ce moment, je ne crains ni de montrer ma faiblesse, ni les échecs.
Le développement vocal est souvent présenté comme un défi technique. Quelle est la part de technique et la part de l’individualité dans vos décisions professionnelles ?
La technique et la personnalité sont pour moi indissociables. J’ai toujours suivi mon instinct. Lorsque l’on m’a proposé de chanter Isolde à Glyndebourne, j’ai d’abord ri. Puis, après avoir essayé de chanter toutes les notes, je me suis dit : « Pourquoi pas une Isolde lyrique ? » Ce qui m’intéressait avant tout, c’était la psychologie du personnage. La question est aussi de savoir ce qui viendra après. Si j’avais accepté de chanter Elektra plus tôt dans ma carrière, je n’aurais plus grand-chose à faire maintenant. La voix change beaucoup avec des rôles comme celui-ci, et il faut en être conscient. Chaque décision repose sur de nombreux éléments subtils et profondément personnels. Je me rends compte maintenant du temps que j’ai consacré à ces réflexions presque tactiques. J’écoute toujours à la fois mon cerveau, mon cœur et mon intuition, car je veux me sentir bien après chacun de mes choix. Dire « oui » et le regretter ensuite est la pire des choses pour l’énergie et le courage.
Chantez-vous pour vous ou pour vos proches ?
Jamais ! Je ne suis pas du genre à me lever le matin et à faire des vocalises. Mais je suis devenue grand-mère cet été et je pense que, oui, j’aurai envie de chanter pour mon petit-fils. Ce sera un petit chanceux !
Propos recueillis le 3 décembre 2024.