
Un nouveau monde ?
Note d’intention
Spontanément, la formule sonne à l’oreille avec une curieuse familiarité. Gretel et Hansel… Il ne s’agit pourtant pas d’une erreur. Derrière ce titre en forme d’anastrophe se cache l’adaptation du célèbre opéra de Humperdinck, condensé et traduit en français pour le plaisir des plus jeunes spectateurs et de leurs parents. À l’occasion des fêtes de fin d’année, le metteur en scène Jean-Philippe Delavault en fait un parcours initiatique très actuel, destiné à éveiller les consciences des plus petits… comme des plus grands.
Comme la plupart des contes de fées, Gretel et Hansel est une source intarissable d'images et d'interprétations. Dès que Bertrand Rossi, alors directeur général adjoint de l'Opéra national du Rhin, m'en a parlé, je me suis mis à écouter l'opéra et une sorte d'évidence frappante s'est présentée à moi. Dès le début, cela parlait du travail des enfants, de la faim, de la difficulté des parents à joindre les deux bouts, de la consommation et de la recherche de sources d'énergie. Puis des enfants abandonnés, maltraités, confrontés à la survie dans la forêt, dans une nature qui leur est étrangère, à l'angoisse de la culpabilité... En somme, dès le début, l'opéra exposait les problématiques du monde d'aujourd'hui.
Une musique sublime venait ensuite apaiser mon cœur et je découvrais que les esprits de la forêt qui protégeaient les enfants étaient les animaux en voie de disparition ; le marchand de sable, un jeune chaman de la forêt amazonienne qui allait leur enseigner les pouvoirs et les secrets de la nature. Ensuite, la musique redevenait âpre et inquiétante. Au fur et à mesure que Gretel et Hansel avançaient dans la forêt, je voyais les arbres coupés de la déforestation, remplacés par les fûts des cheminées d'usines crachant une fumée noire.
Puis la maison de la Sorcière surgissait dans un paysage désolé, ravagé par les détritus. C'était une benne à ordures d'où débordaient des emballages plastiques de trash food, jetés sans même avoir été complètement consommés -- une aubaine pour les enfants affamés ! Et de fil en aiguille, suivant une logique enfantine, la Sorcière s'est mise à gaver de sodas les enfants entravés comme des animaux en batteries à engraisser. Alors Gretel se souvenait de l'enseignement du chaman et se rendait compte que ses pouvoirs étaient supérieurs à ceux de la Sorcière...
Cela parlait donc de la pression de la société de consommation, de la recherche des sources d'énergie, du bouleversement écologique, de l'explosion d'un monde ancien. C'était aussi une ode aux esprits de la nature. Alors un autre degré d'évidence m'est apparu : il fallait que ce projet soit écoresponsable, que les enfants y participent pleinement par des ateliers. Que ce soit une façon ludique, joyeuse et magique de prendre conscience de la transformation accélérée que connaît le monde aujourd'hui et d'y contribuer activement.
C'est aussi une occasion pour les équipes de l'Opéra national du Rhin d'exprimer leur créativité et leurs talents en utilisant des matériaux recyclés tout en relevant un défi esthétique et scénographique. J'aime l'idée de créer un univers magique avec trois bouts de ficelles et beaucoup d'imagination.
Bien sûr, à la fin de l'opéra, la nature refleurit et tout le monde est heureux. Hansel et Gretel rassurent leurs parents. On va même délivrer la pauvre Sorcière qui s'avère n'être qu'un gentil chanteur qui a accepté de se déguiser pour jouer le rôle de la méchante. Car, comme disent Shakespeare et Verdi dans Falstaff : «Tout dans le monde n'est que plaisanterie !»
Gretel et Hansel nous invite à regarder nos enfants autrement. À nous ouvrir à ce que leur créativité spontanée nous enseigne. À voir en eux des maîtres et non des êtres inférieurs. À leur faire confiance, à les écouter, à prendre conscience qu'ils sont l'avenir de l'humanité, les inventeurs d'un monde nouveau, d'un changement de civilisation qui est en train de se produire aujourd'hui sous nos yeux. Ils ont donc besoin de tout notre soutien.
Gretel et Hansel est un voyage initiatique, ludique, optimiste et magique car le jeu et la magie sont les moteurs de l'apprentissage et de l'éveil des esprits. En effet, les deux enfants, grâce à l'expérience et à leur intelligence, trouvent eux-mêmes la solution à la famine et au sort terrifiant qui les attendait. Leurs parents, prisonniers du système sclérosé et englués dans la logique de l'ancien monde, n'avaient pas eu la capacité de résoudre ces problèmes.
Avec les enfants, on peut fonder le nouveau sur la créativité et non sur la peur... C'est comme un jeu d'enfants. Bien sûr que ce sont eux qui vont sauver l'humanité et la planète ! Qui d'autre?
Septembre 2020